18-19 avril 2019
Dans la prolongement des échanges franco-russes engagés à l’occasion de l’invitation d’honneur de la Russie à Paris en 2018, le BIEF, avec le soutien de l’Institut français de Moscou, a organisé de nouvelles rencontres destinées aux éditeurs de pratique, art et beaux livres à Moscou.
Plus de 50 éditeurs russes, représentant une quarantaine de maisons d’édition spécialisées en livres d’art et pratique se sont déplacés à l’Institut français de Moscou pour rencontrer leurs homologues français, en dehors des grands rendez-vous de l’édition. Un moment d’échange privilégié et également de découverte de l’actualité et des tendances de ces deux secteurs, en France et en Russie.
Si l’art et la vie culturelle sont omniprésents à Moscou, le livre d’art reste un marché de niche en Russie car les ouvrages coûtent très cher. Leurs ventes se font moins en librairie que pendant les foires et sur Internet où les soldes sont monnaie courante. Selon AST, géant de l’édition russe, le secteur est en légère progression : Evgeniya Zhuravleva, éditrice chez AST explique cette hausse par le développement d’une forme de vulgarisation de l’histoire de l’art. "Nous publions de plus en plus de livres écrits par de jeunes critiques et historiens d’art qui sont aussi des blogueurs", précise-t-elle. De leur côté, les éditeurs indépendants proposent des ouvrages souvent très originaux, comme par exemple Paper Architects : ce livre met à l’honneur des architectes et projets architecturaux russes des années 80 qui n’ont jamais vu le jour et sont restés "sur le papier", faute de moyens.
"Les catalogues d’exposition, souvent plus détaillés et riches que les expositions elles-mêmes, sont également de très grande qualité", explique la critique d’art Elena Rymshina. "Sachant qu’il n’y aura pas d’autres expositions sur le sujet, les auteurs y mettent tout ce qu’ils savent." Ainsi, le catalogue de l’exposition sur le Printemps de Khrouchtchev est devenu un "monument, une véritable référence de cette époque".
La richesse de cette offre se reflète dans les rayons des grandes librairies moscovites, telle la prestigieuse librairie Moskva, située au cœur de Moscou, où les livres d’art arrivaient traditionnellement en tête des ventes, encore jusqu'à l'année dernière. Les clients (universitaires souvent aisés) y trouvent des ouvrages de collectionneurs, des rééditions de livres d’art classiques russes mais également des livres d’art traduits.
De son côté, le jeune public branché se retrouve dans l’offre de la librairie Res Publica, où travaillent de jeunes libraires et designers, incarnant parfaitement le dynamisme et la créativité du secteur. L’incontournable musée d’art contemporain Garage situé dans le parc Gorki a édité, depuis sa création en 2008, près de 180 ouvrages : des livres sur l’art et l’architecture contemporaine russe, des livres d’art traduits (le rayon Taschen occupe une place importante) et des ouvrages en anglais. Les traductions de l’anglais dominent le marché. Moins chères à produire que les créations originales, elles font même parfois concurrence aux livres d’art en langue russe.
En ce qui concerne le livre pratique, les tendances en France et en Russie sont assez proches. La santé et le développement personnel arrivent en tête des ventes. "Les gens ont besoin de comprendre" explique May Yang des éditions Eyrolles. D’où l’intérêt pour la vulgarisation scientifique, l’histoire, la psychologie, l’astrologie ou l’ésotérisme. Certains titres, comme Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi de Michel Odoul (Albin Michel) ou Le grand atlas du cerveau (Glénat), proposés par les éditeurs français présents à Moscou, ont ainsi suscité l’intérêt de leurs collègues russes. Les livres sur les femmes, leur santé et leur place dans la société, intéressent également les lecteurs des deux pays.
Selon les chiffres de vente de la librairie Moskva, les livres de cuisine arrivent en tête, suivis des livres sur la beauté et la nature. Si certains bestsellers comme L’art subtil de s’en foutre de Mark Manson sont les mêmes en France et en Russie, d’autres sur des thématiques propres à chacun des deux pays, écrits par des stars de la télé ou de la blogosphère locales, ont du mal à passer les frontières. "Un livre sur l’éducation culinaire, écrit par un bloggeur français ne va pas intéresser les éditeurs russes, car on ne mange pas de la même façon chez eux", explique May Yang qui revient également sur la place des bloggeurs dans le secteur du livre pratique en France. Sollicités pendant plusieurs années par les éditeurs, ce sont maintenant les bloggeurs qui frappent à la porte des éditeurs. "Ils ont également besoin de nous", constate May Yang car "tenir un blog n’est pas la même chose que d’écrire un livre. En outre, il s’agit des livres très pointus, avec une durée de vie de maximum deux ans."
De son côté, Natalia Poleva des éditions Komsomolskaya Pravda rappelle que "ce dynamisme fait également le charme de notre secteur, qui est le reflet de nos sociétés avec tous leurs changements. Actuellement nous vendons beaucoup de livres sur comment s’habiller de façon classe mais sans dépenser trop en Russie. Une thématique qui intéresse probablement moins les éditeurs parisiens, ou peut-être que si ?"