En 2019, 22 titres français sont sortis aux États-Unis suite aux contrats signés avec The French Publishers’ Agency. Après avoir publié la liste dans sa dernière newsletter, le BIEF s'intéresse aujourd'hui aux éditeurs à l’origine de ces traductions. À commencer par Tim Schaffner, ancien agent littéraire qui a fondé sa maison, Schaffner Press, à Tucson Arizona en 2001.
Depuis sa création il y a presque 20 ans, Schaffner Press a publié plus de 50 titres de fiction (nouvelles, premiers romans, policiers), de non-fiction et de poésie qui traitent de thèmes universels, tels que la santé, la guerre, l'environnement, les questions humanitaires, ou encore de race. La maison publie 6 à 8 titres par an et, depuis quelques années, s’est ouverte aux traductions, notamment du français et de l’espagnol. En 2019 l’éditeur américain a publié, entre autres titres français, le roman francophone Kannjawou de Lyonel Trouillot (Actes Sud, 2016).
BIEF : Dans quelle mesure ce roman s’inscrit-il dans votre programme ?
Tim Schaffner : J’ai découvert Lyonel Trouillot et Kannjawou grâce à Gretchen Schmid. Elle était alors agent littéraire pour la FPA. Il se trouve qu’elle est ensuite devenue la traductrice de ce roman. Kannjawou aborde plusieurs thèmes importants qui font écho à mon programme : un peuple marginalisé dans une nation appauvrie et déchirée par la guerre, mais aussi des personnages en lutte pour tenter de surmonter les problèmes que cette vie leur octroie. La structure du récit et la voix concordent également avec notre catalogue de fictions peu conventionnelles parmi lesquelles figurent des auteurs audacieux, à l’image de Trouillot.
BIEF : Pourriez-vous présenter votre maison en quelques mots ? Quelle est votre ligne éditoriale ?
T. S. : Nous avons toujours tenu à publier des livres traitant de problèmes universels. Certes, nous aimons les histoires bien écrites avec des personnages étoffés, un rythme particulier et des dialogues réalistes, mais nos ouvrages doivent aller au-delà, avoir quelque chose en plus permettant aux lecteurs de se connecter directement avec d’autres mondes que le leur.
BIEF : Quelle place occupe la littérature française dans votre catalogue ?
T. S. : Nous sommes ravis de voir grandir la liste des traductions françaises qui ne représentent encore que 5 % de notre catalogue. J’espère qu’elle évoluera encore dans les années à venir. En plus des traductions françaises, nous avons quelques traductions de l’espagnol. Nous espérons pouvoir nous étendre vers de nouveaux territoires, à la recherche d’autres titres innovants, en fiction ou en non-fiction.
BIEF : La traduction de Kannjawou a-t-elle présenté des défis particuliers ?
T. S. : Certainement. Nous avons relevé des défis en matière de traduction, en raison de l’usage du créole et du patois haïtien. Avoir Gretchen Schmid comme traductrice s’est vraiment révélé un atout, étant donné ses connaissances universitaires en littérature francophone et littérature des Caraïbes françaises. Elle a pu discuter directement avec Lyonel Trouillot de certaines références littéraires qui se retrouvent dans le roman. L'auteur américain Madison Smartt Bell (La Couleur de la nuit, La Ballade de Jesse, Toussaint Louverture, parus en France chez Actes Sud) est aussi intervenu indirectement sur des problèmes de langue qui subsistaient.
BIEF : Comment avez-vous fait la promotion de ce roman aux États-Unis ?
T. S. : Nous avons eu la chance de profiter du grand soutien de Madison Smartt Bell qui considère Trouillot comme un auteur aussi important à Haïti, que Tolstoï en Russie ou Gabriel García Márquez en Colombie ! Nous avons fait la promotion de ce livre sur notre site Internet, sur les réseaux sociaux, et comme la couverture était originale et les illustrations réalisées par Evan Johnston de la revue New York Review of Books Graphics, nous avons également mis en avant l’aspect visuel sur Instagram. Plus récemment, le Centre culturel français a organisé et financé une tournée de l’auteur sur place et nous avons mis les ouvrages à disposition des principales librairies indépendantes ainsi que lors des manifestations culturelles auxquelles il a participé. Le livre est aussi susceptible de gagner des prix, il est sur la liste du Foreword Reviews Indie Award, du Benjamin Franklin Award et sur la liste du Independent Book Publishers Award (Ippies). Croisons les doigts !
BIEF : Quelles ont été les réactions des médias, des libraires et du public ?
T. S. : Même si nous n’avons pas obtenu les avant-critiques que nous espérions dans la presse et sur Internet, la réaction globale a été très favorable et la tournée récente de Lyonel a apporté un regain d’intérêt pour ce titre dont nous espérons beaucoup en 2020. Enfin, nous comptons établir cet auteur sur le marché américain ces dix prochaines années.