Déjà affaibli par une vague de manifestations contre la corruption et la crise économique et financière, le Liban a été fortement frappé par l’épidémie du COVID-19. Confinés, les professionnels du livre ne bénéficient d’aucune aide et doivent plus que jamais se battre pour sauver leur secteur, explique Rania Moallem, directrice éditoriale chez Dar Al Saqi à Beyrouth.
Rania Moallem, directrice éditoriale chez Dar Al Saqi à Beyrouth : "Nous ne pensons pas être capables de remonter la pente avec la vente de livres numériques."
"Le Liban fait face à l’épidémie du COVID-19 depuis février. Le nombre de personnes infectées est relativement bas, mais en forte augmentation et le système de santé, déjà faible, risque d’être vite saturé. Bien avant la vague d’épidémie, les Libanais étaient en proie à de sérieux problèmes économiques et financiers. En octobre 2019, la dépréciation considérable de la livre libanaise par rapport au dollar américain et les politiques des banques ont déclenché une vague de contestations dans le pays.
Malgré cela, les gens ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités et la majorité a respecté les mesures drastiques prises par le gouvernement (couvre-feu et confinement total dans tout le pays). Des entreprises ont dû suspendre le travail de certains employés, d’autres ont été contraintes de fermer définitivement. Les gens ont alors perdu leur salaire et n’étaient plus autorisés à retirer d’argent de leurs comptes en banque.
Comme toute maison d’édition de pays arabe, voici maintenant plusieurs années que nous luttons pour maintenir notre activité et sauver le secteur du livre. Avec la crise du coronavirus, nous avons subi de nouvelles entraves comme :
- L’annulation progressive de toutes les foires internationales du livre, nous privant de nos ventes externes,
- La fermeture des librairies en raison du confinement nous a empêchés de toucher le moindre revenu et nous contraignant à cesser immédiatement toute activité de publication.
Nous devons surmonter ces problèmes, nous devons essayer de garder nos employés et sauver notre existence sans savoir jusqu’à quand cette crise sévira, et sans date de fin à l’horizon. Contrairement aux gouvernements d’autres pays prospères, le gouvernement libanais n’a pas pu proposer de mesures pour sauver les maisons d’édition. Aucune aide financière, aucun soutien pour les employés, aucune réduction ou promotion spéciale pour les frais matériels ou logistiques n’ont été alloués dans ce secteur.
Avec un effort considérable et une forte volonté de survivre, la maison Dar Al Saqi s’est lancée dans la vente d’e-books et de livres audio, mais jusqu’à présent elle se développe très lentement et pas aussi bien que nous l’aurions souhaité. Nous ne pensons pas être capables de remonter la pente avec ce type de ventes."
Samar Haddad, éditrice chez Atlas for Publishing & Distribution en Syrie : "Nous avions peut-être besoin d’une telle crise pour développer notre offre numérique."
Si le nombre officiel de personnes contaminées reste faible en Syrie, une propagation du virus au nord du pays, particulièrement touché par la guerre, aurait des conséquences désastreuses. Depuis le début du ramadan, le confinement a tout de même été allégé. Les écoles, les universités et les lieux de culte restent fermés, mais les librairies sont de nouveau ouvertes et les éditeurs peuvent expédier des livres à l'intérieur des frontières, explique Samar Haddad, éditrice chez Atlas for Publishing & Distribution à Damas.
"Malgré le maintien du couvre-feu et la fermeture des transports publics à Damas, nous pouvons nous déplacer un peu plus librement depuis le début du ramadan il y a dix jours. Nous sommes à nouveau en mesure de distribuer nos livres aux librairies locales.
Les e-books et les livres audio sont également une bonne option. Personnellement, je pense que nous avions peut-être besoin d’une crise comme celle-ci (ce n’est pas que j’en sois ravie !), pour être déterminés à développer notre offre numérique et les services d’impression à la demande. Le monde arabe est en retard sur ce point et j’espère que les éditeurs sont enfin convaincus que cela peut être une solution.
Pour le reste nous sommes contraints de suspendre notre production. Toutes les foires et salons du livre sur lesquels nous comptons beaucoup pour distribuer nos titres dans d’autres pays arabes ont été annulés. S’il n’y a pas de marché pour des nouveautés, nous ne pouvons pas prendre le risque d’en imprimer.
Concernant notre ligne éditoriale, nous n’avons pas l’intention de limiter notre programme aux auteurs locaux. Nous restons en contact avec nos collègues étrangers, car nous aimerions réaliser davantage de traductions. Actuellement nous travaillons avec un seul auteur syrien qui a écrit un recueil de nouvelles. Genre vers lequel la demande des lecteurs syriens se porte beaucoup en ce moment. Les livres sur le sport intéressent également nos lecteurs."