Une quarantaine de professionnels du livre français et portugais ont assisté au premier webinaire du BIEF, consacré à l’édition franco-portugaise en littérature et sciences humaines et sociales. Fortement impactée par la crise sanitaire, l’édition portugaise repose plus que jamais sur des best-sellers anglo-saxons, limitant les échanges avec les éditeurs français.
Si l'influence culturelle française est encore tangible et la francophonie au sein des maisons d’édition portugaises un atout, il est de plus en plus difficile de publier des titres français au Portugal aujourd’hui. En 2018, selon les derniers chiffres collectés par le Syndicat national de l'édition (SNE) et le BIEF, 266 droits de traduction ont été cédés par des éditeurs français au Portugal, principalement de la bande dessinée et de la jeunesse.
"Nous ne pouvons pas imposer nos choix"
Dans le domaine de la littérature, le bilan est encore plus faible avec 23 titres français vendus en 2019 aux éditeurs portugais. "Nous dépendons des best-sellers anglo-saxons, des Dan Brown, des thrillers et des livres à scandale", explique Pedro Sobral, vice-président de l’Association des éditeurs et libraires portugais et directeur général du groupe LeYa. Une prédominance tellement forte que même les auteurs nationaux tendent à copier ces modèles qui sont au goût des Portugais dont 61% ne lisent actuellement qu’un livre par an. "Dans le contexte actuel nous ne pouvons pas imposer nos choix et prendre des risques, nous misons sur des titres qui se vendent dans les 6 à 12 mois à venir." Une stratégie court-termiste que les éditeurs sont contraints d’adopter depuis la crise de 2008 qui avait engendré une chute drastique du chiffre d'affaires global du marché et dont ils ne se sont toujours pas remis. La pandémie a encore davantage fragilisé ce marché qui peine à redémarrer depuis la réouverture des librairies au mois de mai : la vente des titres de fonds est restée en dessous des espérances, les ebooks et les livres audio sont des secteurs peu développés au Portugal et la vente sur Internet n’a pas pu combler les pertes de vente en librairie et dans les supermarchés. "La situation est catastrophique, nous ne bénéficions pas d’aides de l’État, tout ce que nous pouvons faire c’est baisser les prix des livres", conclut Pedro Sobral.
"Le français est devenue une langue exotique"
Même constat pour Pedro Bernardo, cofondateur et éditeur de E-primatur qui a présenté le secteur des sciences humaines et sociales au Portugal dont le nombre de titres est en constante baisse. "Une vente entre 500 et 1 000 exemplaires correspond à un bestseller." Les livres de Bernard-Henri Lévy en font partie, mais, comme en fiction, la grande majorité des titres en sciences humaines et sociales est traduite de l’anglais. "Les traductions de l’espagnol sont quasi inexistantes et le français est également devenu une langue exotique", remarque Pedro Bernardo qui peine à trouver un auteur français récemment traduit dans son catalogue. Concernant les tendances, il remarque un fort intérêt pour les analyses critiques du capitalisme et du mode de vie occidental, puis pour les livres sur l’environnement et l’écologie. En histoire, quelques long-sellers ont atteint de bonnes ventes, notamment sur Auschwitz, en relation avec le 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Autre tendance : des livres de plus en plus courts, faciles à lire par le grand public.
Chrysothemis Armefti (Agence 2seas), Nicolas Roche (BIEF),
Pedro Sobral (LeYa), Pedro Bernardo (E-primatur)
et Claire Mauguière (BIEF)
Les SHS en France, un secteur particulièrement impacté par la crise
"Be short", c’est aussi une stratégie des éditeurs français pour s’adapter aux nouveaux modes de vie et de lecture, remarque Pauline Kipfer, directrice éditoriale Poche chez Flammarion, dont la présentation des sciences humaies et sociales en France a été fortement appréciée par les participants du webinaire. Plus sévèrement impacté par la pandémie que d’autres, suite à la fermeture des librairies indépendantes qui défendent traditionnellement cette production, ce secteur reste néanmoins stable en France grâce notamment aux titres de fonds qui continuent à se vendre en temps de crise. Concernant ses évolutions, Pauline Kipfer a pointé trois autres tendances :
- La nouvelle vague féministe, portée par des auteurs comme Mona Chollet (Sorcières, La Découverte).
- L’arrivée en force des graphic novels dans le secteur des sciences humaines et sociales, avec des best-sellers comme Economix (Les Arènes).
- Le 'recyclage' des contenus, publiés sous différentes formes, telle L’Histoire mondiale de la France (Seuil) d’abord éditée en grand format, puis en illustré et enfin en poche.
Nicolas Roche (BIEF), Pauline Kipfer (Flammarion Poche)
et Chrysothemis Armefti (Agence 2seas)
Quant à l’avenir du secteur, Pauline Kipfer reste optimiste : "Nous allons continuer à acheter des droits pour aller de l’avant."
De son côté, Louis Chevaillier, journaliste à l'hebdomadaire Le 1 et ancien éditeur chez Phébus et Folio, a présenté le domaine de la fiction en France, dont les ventes sont en hausse depuis la rentrée. "La situation n’est toujours pas rose, mais nous dépendons moins des best-sellers." Selon lui, l’édition de littérature en France se trouve en plein renouveau avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs et d’éditeurs dont les préoccupations ont changé et qui font également évoluer la langue française.