19 novembre 2020
Suite à la publication de l’étude sur les éditeurs de littérature générale aux États-Unis, le BIEF, en collaboration avec the French Publishers’ Agency, a organisé un webinaire consacré au marché nord américain en présence de trois éditeurs américains, spécialisés en sciences humaines et littérature. Retour sur cette rencontre qui - avec plus de 60 inscrits - a suscité un vif intérêt de la part des professionnels français.
Tout comme l’étude sur la littérature générale aux États-Unis, cette rencontre sur Zoom, animée par Alice Tassel et Janet Lee de la French Publishers’ Agency, avait pour objectif de mettre en avant les profils des editors américains susceptibles de répondre favorablement à un contact initié par les responsables de droits français – tel Dan Simon, fondateur et éditeur chez Seven Stories, dont 25 à 35% des titres publiés sont des traductions.
L’éditeur d’Annie Ernaux et de Lola Lafon, qui lit lui-même le français, est à la recherche de nouvelles voix, avec une préférence pour les stylistes et les voix féminines. "Être ouvert à des traductions nous permet de publier les meilleurs auteurs du monde. Ce serait impossible avec des écrivains de langue anglaise qui iraient plutôt vers un des Big Five", explique-t-il. Si le contexte, très anxiogène, de la pandémie n’est pas propice à la découverte et à la promotion de nouveaux auteurs, il reste tout de même attentif aux propositions de titres français. "Mieux les éditeurs connaissent notre marché et notre ligne éditoriale, plus il y a de chances que les propositions aboutissent."
"La crise a mené à une ‘bestsellerisation’ du marché"
Juan Milà, directeur éditorial chez Harper Via (une marque de HarperCollins), fait partie des Big Five même si Harper Via voudrait se démarquer de cette image. Créée en 2019, elle est spécialisée en littérature étrangère, a déjà publié 12 titres et en envisage 20 par an sans suivre les best-sellers. La littérature francophone occupe une part importante du catalogue "très ouvert et éclectique", avec des auteurs comme Jean-Claude Grumberg (La plus précieuse des marchandises, Seuil), Santiago Amigorena (Le Ghetto intérieur, POL) et Vanessa Springora (Le Consentement, Grasset). Avec la pandémie, Juan Milà remarque une ‘bestsellerisation’ du marché : "Les grandes maisons profitent du fait que les Américains ont massivement acheté des best-sellers ces derniers mois." L’annulation des foires change également la donne, mais Juan Milà continue de s’appuyer sur son réseau, constitué d’amis éditeurs, de traducteurs et de scouts, pour prospecter. "Leur avis prime sur les bonnes critiques ou les prix littéraires, même s’ils peuvent avoir leur importance", explique-t-il.
"Nos auteurs sont sélectionnés en fonction de leur expertise"
Selon Lucina Schnell, responsable des droits étrangers chez Chicago UP, "la pandémie n’a pas encore trop impacté le secteur des sciences humaines et le monde académique, mis à part le fait que la maison achète beaucoup de droits numériques pour ses titres de fonds afin de les rendre plus accessibles aux étudiants." Les acquisitions continuent malgré la crise, même "s’il faut être plus prudent et sélectif". Parmi les 300-400 titres publiés chaque année par Chicago UP, une dizaine sont des traductions du français, pour beaucoup d’auteurs de la French Theory mais aussi d’auteurs contemporains comme Laurent Testot (Cataclysmes, Payot) et de fiction, tel Christophe Boltanski (La Cache, Stock). "Nous sélectionnons nos auteurs en fonction de leur parcours universitaire, de leur expertise et de leur approche singulière d’un sujet. S’ils parlent anglais et sont déjà connus dans le monde anglophone cela aide beaucoup, évidemment. Lorsque les éditeurs étrangers nous fournissent un extrait de l’ouvrage traduit cela facilite également nos choix", explique Lucina Schnell.
Positionner un auteur français sur le marché américain reste difficile, notamment en littérature. "Les Américains adorent la French Theory, la cuisine et les films français, mais il y a comme une résistance à la littérature française", remarque Dan Simon, pour qui les traductions du français ne sont pas toujours excellentes. Malgré l’arrivée d’une nouvelle génération de traducteurs, il estime qu’il reste encore du travail dans ce domaine. Les éditeurs de sciences humaines en revanche ne rencontrent pas de problème particulier pour positionner un auteur français. C’est l’approche du sujet qui qualifie l’auteur, indépendamment de sa nationalité, explique Lucina Schnell.
"Les éditeurs français font des efforts considérables pour approcher le marché américain, plus que leurs collègues italiens, allemands ou espagnols", note Dan Simon, qui précise toutefois que cela porte ses fruits. Tout comme les aides à la publication de l’ambassade et la présence de la librairie française Albertine à New York, "une des plus belles aux États-Unis".
Pour terminer, ce webinaire était suivi d’une discussion plus informelle entre les responsables des droits français et Anne-Solange Noble, responsable des droits pour la langue anglaise chez Gallimard et auteure de l’étude sur les éditeurs de littérature générale américains.