Organisée en partenariat avec le Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil et avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie, cette première édition a pris la forme d’un cycle de six visioconférences, contexte sanitaire oblige, réparties du 9 novembre au 3 décembre. Durant cinq semaines, sept éditeurs venant du Canada, du Congo (RDC), de Côte d’Ivoire, d’Haïti, du Rwanda et du Togo se sont retrouvés afin d’échanger sur leur métier d’éditeur jeunesse et de bande dessinée. L’occasion aussi de renforcer leur réseau et leurs relations avec les éditeurs français.
Parmi les nombreux sujets abordés, la question de la coédition et des cessions de droits ou encore celle des habitudes de lecture chez les jeunes dans l’espace francophone
Si les projets de coédition sud-sud sont aujourd’hui nombreux, ceux entre éditeurs français et éditeurs de la francophonie du sud sont encore bien rares. Mais il faut noter des expériences très encourageantes, telle la coédition tirée du livre de Philippe Brasseur, 1001 activités autour du livre. Édité par Casterman en 2007, il a fait l’objet d’une coédition entre onze éditeurs francophones, avec le soutien de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI) et du Centre national du livre (CNL).
Corinne Fleury, directrice des éditions Atelier des nomades à Maurice est à l’origine de ce projet. Invitée à participer au stand du BIEF des éditeurs d’Afrique, d’Haïti et du Vietnam à la Foire du livre de Francfort en 2018, elle a découvert ce livre dont l’objectif est "de transmettre la passion de la lecture aux enfants de 2 à 8 ans", explique Bérengère Decherf, responsable des droits et marchés dérivés chez Casterman, pour qui cette coédition nord-sud était une première.
Compte tenu du fait qu’à Maurice et dans d’autres pays africains, un grand nombre de libraires, de bibliothécaires et d’acteurs culturels n’ont pas été formés pour faire ce travail de transmission, Corinne Fleury voulait s’approprier "cet outil" en l’adaptant aux besoins et aux réalités des pays concernés. "Le livre aurait pu être perçu comme une leçon condescendante venant du nord vers le sud et moi, je voulais un projet dans lequel tout le monde se retrouve en prenant compte la diversité des populations africaines indiennes océaniques".
L’AIEI, dont les onze éditeurs sont membres, a acquis les droits de coédition et a signé un "contrat de coédition solidaire" avec Casterman. Le titre porte le label "livre équitable" garantissant qu’il est vendu à un prix correspondant au pouvoir d’achat local et rappelant qu’il s’agit d’un partenariat solidaire entre les coéditeurs. "Un projet rendu possible grâce au CNL qui l’a soutenu dans le cadre de ses aides aux projets d’édition", explique Laurence Hugues, directrice de l’AIEI.
Une fois ce contrat signé, un travail d’adaptation a été réalisé avec Philippe Brasseur, auteur et illustrateur de l’ouvrage. Ainsi, des extraits de livres français ont notamment été remplacés par des extraits des livres des éditeurs participant à la coédition. Livré à Lomé en septembre 2020, le tirage du livre est en train d’être réparti dans les dix autres pays africains où il est attendu avec impatience.
Lire pour se faire plaisir
Autre sujet abordé lors des visioconférences : les habitudes des jeunes lecteurs en France et dans l’espace francophone, en présence de Simon Vialle (CNL), Timothée Guédon éditeur chez Kana, Céline Vial, éditrice de romans jeunesse chez Flammarion, Emmanuelle Liebert de la librairie francophone La page à Londres, Michaël Mathieu, libraire à la librairie de Paris et Marilyne Duval, responsable des collections romans jeunesse des bibliothèques de Montreuil.
Pour commencer, Simon Vialle a présenté les études du CNL sur les habitudes de lecture chez les jeunes en France et en particulier pour la BD. Si les jeunes savent très bien ce qui leur fait plaisir, comme Timothée Guédon, éditeur chez Kana, le souligne à propos du manga, genre dominant en matière de lecture chez les jeunes, les adultes y font souvent barrage. Que ce soit à Londres, à Paris, à Kinshasa ou à Montréal, les parents sont souvent à la recherche de livres rassurants et sérieux dont la lecture sert à l’apprentissage. Pour beaucoup d’entre eux, la bande dessinée n’est pas considérée comme une lecture à proprement parler… ce qui n’empêche évidemment pas son succès, y compris dans les pays francophones. "Les super-héros de Marvel ont une forte influence sur les jeunes à Kinshasa", témoigne ainsi Dan Bomboko, directeur des éditions Elondja, ajoutant "qu’il recommande aux jeunes bdistes congolais de partir de leur propre réalité et de leur propre vécu pour créer un contenu original". Au Togo, de jeunes auteurs de BD se sont à la fois inspirés des comics et des mangas pour créer leurs propres super-héros africains, raconte Paulin Assem, éditeur chez Ago Média.
La question de savoir à qui l’on s’adresse, aux enfants ou aux adultes, se pose également à Céline Vial chez Flammarion, qui publie des romans pour des jeunes entre 9 et 25 ans, dont certains ne correspondent pas aux "codes rassurants des parents". Mais, tranche-t-elle "c’est le jeune qui doit s’y retrouver et finalement cela passe, car les parents sont contents que leurs enfants lisent".
Les regards croisés des professionnels du livre présents, libraires, éditeurs ou médiathécaire, ont mené le débat autour de la question de la censure posée par Emmanuelle Liebert de la librairie La Page à Londres, dont la clientèle peut se heurter à des livres parfois jugés trop osés tel Le vent se lève de Timothée de Fombelle qui aborde le sujet de la traite négrière. "À force de vouloir protéger tout le monde on arrive à des contenus aseptisés", déplore la libraire. Si les parents peuvent - là encore - faire obstacle, "les éditeurs de jeunesse continuent à se battre pour une littérature de qualité sans réelle censure, pense Marilyne Duval, qui cite à ce propos la collection Exprim’ chez Sarbacane ou le controversé roman Les Derniers des branleurs de Vincent Mondiot (Actes Sud Junior) montrant "à quel point les éditeurs osent publier des livres décalés". Pour CélineVial aussi, beaucoup d’auteurs de romans jeunesse font preuve de courage "en affrontant de manière frontale des sujets que les éditeurs de littérature pour adultes n’oseraient pas aborder. Mais il est vrai que les éditeurs doivent s’interroger aujourd’hui sur ‘qui est l’auteur, de quoi il parle et quelle est sa légitimité’ ce qui n’était pas toujours le cas dans les années 90."
Des questions auxquelles ont été réceptifs les éditeurs francophones qui, dans chacun de leur pays, ont un accueil différent de leurs jeunes lecteurs, comme au Canada où Véronique Fontaine des éditions Fonfon, et les éditeurs canadiens de manière générale, abordent des sujets difficiles tels l’autisme ou le rejet et réalisent que ce ne sont pas les enfants qui sont choqués par le livre mais les parents qui réagissent parfois très fortement. Ou encore lorsque Mirline Pierre de Legs édition en Haïti publie une biographie sur Marie Vieux Chauvet dans sa collection Je Découvre, qui ne semble pas faire l'unanimité auprès des parents. En Afrique, c’est une autre réalité, liée notamment à la forte influence de l’Église. En RDC, même s’il n’existe pas de censure dans le secteur du livre, Dan Bomboko doit néanmoins passer par l’éducatif ou le pédagogique pour s’engager sur des sujets plus sensibles.
Autant de diversités dans les sujets et les publications qu’illustre le catalogue des éditeurs francophones réalisé lors de ce Fellowship, qui est également l'occasion de rappeler l'attribution, en janvier prochain, du Prix des cinq continents. Créé par l’OIF en 2001, il permet de mettre en lumière des talents littéraires reflétant l'expression de la diversité culturelle et éditoriale en langue française dans le monde et de les promouvoir sur la scène littéraire internationale.
Pour en savoir davantage sur les maisons d’édition francophones et leurs publications vous pouvez consulter le catalogue et le programme du Fellowship.