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Compte rendu

"Rester en contact, c’est le meilleur antidote à la crise"

décembre 2020

2-3 décembre 2020

Quel impact la crise a-t-elle sur les professionnels du livre en Espagne et en Argentine et comment redynamiser leurs échanges avec les éditeurs français ? Telles étaient les questions abordées lors de deux visioconférences, en présence d’éditeurs français, espagnols et argentins, spécialisés en sciences humaines et sociales, littérature, jeunesse et bande dessinée, organisées par le BIEF, en partenariat avec les Instituts français de Madrid et de Buenos Aires. 


Si presque tout est incertain dans le contexte actuel, une chose est sûre : les échanges entre la France, l’Espagne et l’Argentine, vieux de deux siècles, ne s’arrêteront pas ! Avec plus de 130 inscrits, les éditeurs français étaient nombreux à participer aux deux webinaires consacrés à l’édition en Espagne et en Argentine. Un premier était dédié aux sciences humaines et sociales et à la littérature. Étaient présents, du côté espagnol : Anna Esteban, éditrice chez Tusquets Editores, Paulo Cosín, vice-président de l’association des éditeurs indépendants de Madrid et directeur des éditions Morata, Maria Lynch, agente chez Casanovas & Lynch et Glòria Gutiérrez, directrice littéraire de l’agence Carmen Balcells. 


Du côté français : Maria Vlachou, directrice des droits étrangers au Seuil et Gustavo Guerrero, responsable du domaine hispanophone de la collection Du monde entier chez Gallimard et du côté argentin : Ana Galdeano, éditrice de sciences humaines chez Siglo XXI.


Au début des rencontres, un bref bilan de la situation de l’édition depuis le début de la crise en Espagne et en Argentine a été dressé : si les librairies sont restées fermées en mars/avril et de nombreuses publications reportées en Espagne, l’activité a légèrement repris à partir du mois de mai. En Argentine, les librairies sont restées ouvertes et les libraires indépendants ont même accru leurs chiffres d’affaires. Les ventes globales de l’édition argentine, en revanche, ont baissé au deuxième trimestre tout comme le nombre de tirages et de traductions, mais, constate Ana Galdeano, le marché se redresse depuis cet été. Du côté français, Maria Vlachou précise que la crise n’a pas impacté le volume moyen annuel des cessions vers l’Espagne et l’Argentine avec une trentaine de nouvelles cessions et une vingtaine de contrats renouvelés.


Il y a une vie après Foucault ! 


Quelle est la réception de la production française en Espagne et en Argentine ? Si les auteurs de la French Theory occupent toujours une place importante, il est difficile d’installer de nouvelles voix, surtout dans le contexte actuel, rappelle Ana Galdeano. Mais l’avant-garde française est malgré tout présente en Espagne et en Argentine avec des auteurs tels Jacques Le Goff, Pierre Rosanvallon ou Thomas Piketty, comme le rappelle Maria Vlachou.


En littérature, Anna Esteban remarque une grande influence des auteurs contemporains français sur les écrivains espagnols. Notamment dans le domaine de la "narrative non fiction" : les traductions des livres d’Emmanuel Carrère ou d’Éric Vuillard font écho chez les écrivains espagnols. Idem pour les écrivaines françaises, comme Annie Ernaux, dont s’inspirent les jeunes auteures espagnoles. De son côté également, Gustavo Guerrero remarque une "explosion de voix féminines hispaniques" avec des auteures comme Mariana Enriquez ou Maria Gainza. Maria Lynch constate par ailleurs que les auteurs espagnols sont plus lus en France que les latino-américains et qu’ils ont davantage de succès lorsqu’ils écrivent des livres hybrides, qui mélangent les genres, comme le poète Manuel Vilas, lauréat du prix Femina 2019 pour son roman Ordesa.


Tendances et évolutions du secteur jeunesse et bande dessinée en Argentine et en Espagne


Une deuxième visioconférence, consacrée à l’édition de jeunesse et de BD, a réuni l’éditrice jeunesse argentine Clara Hoffmann des éditions Pípala, Diego Rey, dessinateur, scénariste de BD et éditeur argentin chez Hotel de la ideas, l’éditrice de BD espagnole Catalina Mejia de Salamandra Graphic, Luis Zendrera, directeur général de Editorial Juventud, Natalie Vock-Verley, directrice des éditions du Ricochet, et Jean Paciulli, directeur général des éditions Glénat.


En Argentine, la création en jeunesse et en BD a une longue tradition également partagée en Europe – bien au-delà de Mafalda bien sûr ! – Diego Rey remarque aujourd’hui un fort intérêt pour le roman graphique, d’abord publié par de petits éditeurs de bandes dessinées, puis par les grandes maisons généralistes. Dans sa propre maison, il publie des chroniques journalistiques, de la fiction et des biographies sous forme de roman graphique. En Espagne, Catalina Mejia note une féminisation de la BD tant du côté des lectrices que de celui des illustratrices et auteures. Le roman graphique connaît aussi son heure de gloire : "C’est une manière simple de transmettre la connaissance". Tout comme en France, les adaptations littéraires se vendent bien.


L’âge d’or de l’album et de la bande dessinée jeunesse


Dans le secteur de la jeunesse, l’Argentine Clara Hoffmann souhaite davantage valoriser l’objet livre. "Nous utilisons des encres nouvelles, nos ouvrages sont agréables à toucher, à sentir et à regarder. Et nous n’indiquons pas d’âge sur la couverture car ils s’adressent à la fois aux enfants et aux adultes."


Si les albums ont une longue tradition en France, ils ne sont publiés que depuis une quinzaine d’années en Espagne, rappelle Luis Zendrera. Editorial Joventud était un pionnier du genre en 1970 ; aujourd’hui c’est "l’âge d’or de l’album". La BD jeunesse est aussi en plein essor, à l’image de la série Narval de Ben Clanton, qui rencontre un grand succès. Les liens entre la France, l’Espagne et l’Argentine sont très forts dans le domaine de la jeunesse et de la BD. Si la reprise des ventes dans les trois pays avant la deuxième vague du virus a rassuré la profession, l’annulation des foires rend tout de même les échanges internationaux difficiles. Pour y remédier, Diego Rey et Natalie Vock-Verley disent travailler plus étroitement avec les agents, d’autres préfèrent des rendez-vous B to B en ligne. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de rester ouvert et connecté. 


Katja Petrovic