En France, de nombreux libraires ont réalisé des ventes record lors du dernier trimestre 2020. Mais qu’en est-il des librairies francophones en Europe et ailleurs ? Le BIEF effectue un petit tour d’horizon en deux parties, à commencer par les témoignages d’Élodie Salanove, de la librairie Hartliebs à Vienne et de Nathalie Hirschsprung, gérante de la librairie française Vice-Versa à Jérusalem.
La librairie Hartliebs Bücher à Vienne propose des livres en allemand, en français et en italien. Ouverte depuis septembre 2013 dans le quartier francophone de Vienne, cette librairie devenue librairie francophone de référence depuis quatre ans, est actuellement confrontée à une troisième fermeture. Mais jusqu’ici elle a tout de même bien résisté à la crise.
"Comme en France, nous avons constaté une forte hausse de la fréquentation en librairie après le premier confinement. Et nous remarquons un changement de comportement chez nos clients par rapport à Amazon. Beaucoup avaient déjà un discours anti-Amazon, mais ils étaient avant tout issus des milieux aisés. Maintenant ils sont encore plus nombreux et issus de toutes les classes sociales. Grâce à la création de notre nouveau site, nous avons communiqué sur les réseaux sociaux et dans les groupes de lecteurs francophones.
Cette 'année Covid' nous a permis de gagner en visibilité et en proximité avec nos clients. Décembre a été amputé d’une semaine en raison de la fermeture des commerces et sans autorisation de Click & Collect, mais les trois autres semaines ont été très intenses. Malgré les restrictions (1 client par m²), nous avons réalisé plus 20 000 euros de chiffre d'affaires par rapport à l’année dernière, soit une augmentation de 35%. En 2020, toutes langues confondues, nous avons gagné 35 000 euros de plus par rapport à 2019 qui était déjà une très bonne année.
En dehors de nos bonnes ventes habituelles en littérature jeunesse, nous avons constaté une augmentation significative des titres de la rentrée littéraire. Les finalistes du Goncourt ont eu du succès, idem pour Les Métamorphoses de Camille Brunel, et bien sûr, Emmanuelle Bayamack-Tam/Rebecca Lighieri, un de nos 'coups-de-cœur-à-vie'. Nos long-sellers ont également bien marché : Albert Camus, Annie Ernaux, Michel Houellebecq, Didier Eribon. Les bandes dessinées jeunesse et adulte se sont exceptionnellement bien vendues, surtout les classiques de la BD franco-belge, avec beaucoup d’achat de collections complètes (tout Tintin, Les Tuniques bleues, Astérix). Nous n’avons jamais vendu autant de bandes dessinées adulte que cette année."
Situation nettement plus compliquée pour Nathalie Hirschsprung, directrice de la librairie francophone Vice-Versa à Jérusalem. Confinées pour la troisième fois de décembre à fin février, les libraires n’avaient pas le droit de pratiquer le Click & Collect. Autre contrainte : les lecteurs s’intéressent en priorité aux auteurs juifs suite au repli communautaire provoqué par la crise.
"Nous ne pouvons pas parler de hausse significative des ventes, mais nous avons réalisé un chiffre d’affaires correct au mois de décembre. Nous avions été confinés pour la deuxième fois pendant des fêtes très importantes ici, en septembre et en octobre. En décembre, la fête juive de Hanouka (juste avant la fête chrétienne de Noël) a été propice à l’achat de cadeaux. Des clients, qui autrefois auraient certainement fait leurs courses en France ou sur des plateformes de vente à distance ont été au rendez-vous. Les meilleures ventes ont été réalisées en littérature classique, en jeunesse, en littérature contemporaine. Les essais, les livres de cuisine, les romans policiers et la littérature israélienne traduite en français se sont également bien vendus. Record de ventes pour le Goncourt, comme en France.
Nous constatons une best-sellerisation, favorisée par le Click & Collect ; malheureusement cette pratique de vente a été interdite à Jérusalem pendant le troisième confinement car le gouvernement a estimé qu’il mettait trop les gens en contact. Les amendes étaient passées à 2 500 euros ! Seules les livraisons étaient autorisées. Il nous restait les conseils par téléphone ou par courriel, les exports de fichiers Excel par rayon, une communication massive sur les réseaux sociaux, mon émission de webradio hebdomadaire pour les conseils de lecture et quelques recensions dans les médias locaux en français.
Force est de constater que la crise provoque un repli communautaire non négligeable : nombre de nos clients s’intéressent en priorité à l’histoire juive, la philosophie juive, les auteurs juifs. J'ai tout de même profité de la fin de mon bail et de la situation pour déménager la librairie. Toujours en centre-ville, nous avons désormais deux étages. Mais notre situation financière s’est aggravée en ce début d’année et plus encore avec les mesures strictes accompagnant la réouverture des commerces. Nous n’avons aucune aide de l’État et comme la compagnie aérienne a quasiment triplé ses prix au kilo, nous subissons une hausse des frais très importante pour l’importation des livres français que nous ne pouvons répercuter sur nos clients."
Propos recueillis par Stéphanie Suchecki et Pierre Myszkowski