Premier éditeur français de sciences humaines et sociales, fondé en 1921, les Presses universitaires de France fêtent leurs 100 ans cette année. Éditeur de Durkheim, Bergson, Freud et de la célèbre collection "Que sais-je ?", la maison compte aujourd’hui plus de 5 000 titres de toutes les sciences humaines, destinés aux universitaires et au grand public. Entré aux PUF en 2004 et devenu directeur éditorial en 2020, Paul Garapon revient sur les missions des PUF dans le présent et dans le futur.
BIEF : Les Presses universitaires de France sont une maison d’édition unique dans la configuration du paysage culturel français, pourquoi ? Pourriez-vous revenir brièvement sur quelques moments clés de l’histoire des PUF ?
Paul Garapon : Les PUF sont une coopérative d’universitaires fondée en 1921 alors que les maisons d’édition généralistes n’avaient pas encore compris la poussée formidable des sciences humaines : il s’agit d’une initiative privée mais de type mutualiste, destinée à accompagner l’Université française alors en plein essor. En 1936, la maison change de taille par la fusion avec des maisons ayant pignon sur rue, telles que Félix Alcan, l’éditeur de Bergson et Durkheim, Rieder et Leroux. En 1941, en pleine Occupation, Paul Angoulvent, premier grand dirigeant des PUF, crée la collection "Que sais-je ?", dont le petit format est particulièrement adapté en raison de la rareté du papier, et invente à la fois le format poche, dont le démarrage réel se fera dix ans plus tard, et l’encyclopédie portative… La maison est florissante jusqu’à ce que l’on a appelé la crise des sciences humaines, au tournant des années 2000. Depuis quelques années, elle a retrouvé son assise à la faveur d’une politique éditoriale qui ménage un bon équilibre entre les ouvrages de type académique (manuels) et les essais (en forte progression).
BIEF : Vous l’avez dit, les PUF ont fusionné dans les années 1930 avec trois éditeurs, spécialisés en philosophie, en histoire et en littérature. Plus récemment, en 2016, il y a eu une autre fusion, avec les éditions Belin, un an avant que les PUF deviennent un département du groupe Humensis. Cela a-t-il changé quelque chose ?
P.G. : Pour un éditeur qui ne propose que des sciences humaines, sans le secours de la fiction, et avec un volume assez important de parutions (200 nouveautés par an, près de 500 sorties annuelles avec les réimpressions et rééditions), il est clair que s’appuyer sur un groupe qui mutualise les services transversaux entre une dizaine de marques (informatique, diffusion commerciale, fabrication, département juridique, services comptables et financiers…), permet de travailler sereinement. C’est la configuration idéale pour un périmètre éditorial comme le nôtre.
BIEF : Éditeur de Durkheim, Bergson et Freud, les PUF publient depuis cent ans les écrits d’universitaires et de penseurs en sciences humaines et sociales mais c’est aussi une maison tournée vers le grand public. Quelles sont pour vous les missions des PUF dans le présent et dans le futur ?
P.G. : Les PUF ne s’occupent que de sciences humaines, mais doivent s’occuper de toutes les sciences humaines, et c’est cet aspect que nous comptons travailler durant les prochaines années. Au regard de l’état des supports, des formats, c’est-à-dire de l’offre en sciences humaines telle qu’elle existe aujourd’hui dans le secteur privé et surtout dans un secteur éditorial public en pleine transformation, il est assez clair que nous allons vers de l’hybride, c’est-à-dire la coexistence de modèles différents, qu’il faut tenter de rendre complémentaires. Dans ce contexte, nous devons à la fois continuer à proposer nos essais tournés vers le public élargi des sciences humaines et sociales, nos manuels destinés aux étudiants, nos dictionnaires thématiques, mais également redévelopper des secteurs que nous avons délaissés ces dernières années, comme les ouvrages de spécialités à petit marché, car les contraintes de tirage étaient trop fortes. Le principal gain lié au numérique est dans la plasticité de notre offre.
BIEF : Nourrir l’intelligence et l’ouverture d’esprit, décrypter le monde, prendre le temps de la réflexion et de la connaissance, tels sont les objectifs des PUF. Dans un monde désorienté par la profusion d’informations, est-ce plus difficile ou au contraire plus facile pour les PUF de trouver son public ?
P.G. : Comme à leur origine, les PUF fonctionnent grâce à un réseau serré d’universitaires de toute discipline et de toute provenance : c’est ce qui fait la richesse de la maison, dont témoigne la grande variété de son catalogue. La difficulté de l’époque tient à la plus grande volatilité des lecteurs, dans la mesure où l’autoprescription prend souvent la place de la prescription. Et sur les essais destinés au public élargi, le travail du service de presse est déterminant, on le vérifie sans cesse. Il faut davantage faire savoir qu’auparavant.
BIEF : Le secteur des sciences humaines et sociales a connu une profonde mutation. L’éditeur de sciences humaines se retrouve face à la tâche de poursuivre le travail de transmission des savoirs tout en s’adaptant aux attentes présentes des lecteurs, le besoin de sciences humaines plus "pratiques" évoluant plutôt de la question du "pourquoi faire" vers celle du "comment faire". Êtes-vous d’accord avec ce constat et si oui, que faites-vous pour y répondre ?
P.G. : La recherche aura toujours besoin d’ouvrages exigeants et qui ne transigent pas sur la recherche de la vérité, qui est le but de la science. Il n’est donc pas question de bricoler les contenus ! En revanche, on peut faire évoluer les formats et proposer des formes plus séduisantes qui, comme la collection "Que sais-je ?", délivrent les connaissances de façon agréable et utile. Nous ne faisons pas que des gros livres qui impressionnent, mais également beaucoup d’ouvrages brefs qui, mine de rien, rencontrent un public non négligeable.
BIEF : "Épiméthée", "Quadrige", "Que sais-je ?", "Thémis", "Le Nœud gordien", "Perspectives critiques", "Droit fondamental"… la liste des célèbres collections des PUF est longue. Quels sont les collections et les titres phares de la maison depuis ces dernières années et à quel besoin cela correspond-il ?
P.G. : Depuis une dizaine d’années, nous avons procédé à une remise à plat nécessaire dans certaines disciplines. Figurez-vous que quand je suis entré aux PUF en 2004, la maison comptait près de 16 collections de philosophie ! Une bonne partie de la production des essais se fait aujourd’hui en hors collection ; c’est ainsi que sortent les best d’auteurs qui, sans rien rogner sur l’exigence scientifique, peuvent s’adresser à un public plus élargi, comme Les Territoires conquis de l’islamisme (2020) de Bernard Rougier ou plus récemment Apocalypse cognitive (2021) de Gérald Bronner. L’essentiel n’est pas l’inscription dans une collection, mais un lancement réussi dans la bataille des idées. Les titres se travaillent un par un, et chacun nous mobilise autant.
BIEF : Pour fêter les 90 ans des PUF, une petite enquête avait été réalisée auprès des auteurs pour savoir ce que représentait aujourd’hui pour eux le savoir. Pour les 100 ans des PUF j’ai envie de vous poser la même question…
P.G. : Le savoir, c’est détenir une part de vérité et tenter d’en faire le meilleur usage ! C’est là l’utilité d’une maison comme les PUF, je crois : transmettre des savoirs sans avoir à rien renier des exigences scientifiques, et faire que ça marche !